Récemment, nous avons vu que des dizaines de milliers d’ouvrier-ès du textile au Bangladesh
travaillant pour des sous-traitants de monopoles internationaux tels que H&M, Zara, Mango,
Benetton, Primark se sont mis en grève pour exiger que leur salaire mensuel passe seulement de
70 euros à 190 euros et que plus de 300 usines de vêtements ont été fermées et plus de 50 ont
été détruites et incendiées lors des affrontements. Nous nous souvenons du Bangladesh avec
l’effondrement du Rana Plaza le 24 avril 2013, où des entreprises sous-traitantes produisant pour
les mêmes monopoles étaient rassemblées, tuant 1138 travailleurs-euses.
Le contraste dramatique entre les travailleur-euses travaillant dans les conditions les plus
misérables du monde et produisant les vêtements étincelants des sociétés occidentales fait du
Bangladesh un exemple flagrant de « l’enfer de la main-d’œuvre bon marché ». Cependant, le sort
de la classe ouvrière bangladaise n’est pas une exception pathétique, mais la règle qui régit le
fonctionnement économique mondial aujourd’hui.
TROISIÈME TYPE D’EXPLOITATION DE LA PLUS-VALUE : LA SUPER-EXPLOITATION
Nous savons que l’exploitation impérialiste, en particulier après la crise du capitalisme de
1974-1975, a été principalement réalisée en déplaçant les processus de production à forte
intensité de main-d’œuvre vers ces enfers de main-d’œuvre bon marché. La production bon
marché de marchandises dans les pays financièrement et économiquement colonisés (néo-
colonie) et leur vente à des niveaux de prix monopolistiques dans les pays impérialistes permet à
la plus-value de circuler des pays où elle est produite vers les pays où elle est réalisée, ce qui
crée une contre-tendance à la tendance baissière du taux de profit.
Le « bon marché » ne se limite pas au fait que les salaires payés aux travailleur-euses de différents
pays sont nominalement/monétairement plus bas. Le capitalisme impérialiste sous-évalue le prix
du travail dans les néo-colonies en diminuant le prix des paniers de subsistance minimum des
classes ouvrières de différentes nations ayant le même niveau de productivité et effectuant le
même travail, c’est-à-dire la quantité de produits de première nécessité pour les maintenir en vie.
Cette exploitation est appelée « super-exploitation », qui désigne un troisième type d’exploitation,
différent de celui réalisé par l’allongement de la journée de travail (absolue) et l’application de la
technologie à la production (relative). Alors que la géographie où se trouve l’essentiel de la classe
ouvrière productrice de marchandises compte 86 % de la population mondiale, 73 % de la valeur
totale produite principalement par ces travailleur-euses passe ainsi des travailleur-euses du
monde entier aux pays impérialistes.
La manière la plus simple d’observer la surexploitation en action est de regarder les salaires
perçus par les travailleurs-euses dans les différents pays. L’Organisation mondiale du travail
(OIT), qui enregistre les coûts unitaires de la main-d’œuvre dans les différents pays en monnaie
locale, en dollars et en parité de pouvoir d’achat, est une source importante à cet égard. Bien que
la base de données « Indicateurs de compétitivité » de l’OIT ne comprenne pas tous les pays et ne
fournisse pas les données les plus récentes sur les pays qu’elle couvre, elle nous permet
d’observer le phénomène de « l’arbitrage salarial mondial ». Par exemple, voyons ce qu’il en est
des coûts unitaires de main-d’œuvre dans l’industrie manufacturière.
Selon les statistiques, par rapport à la différence nominale/monétaire du coût de la main-d’oeuvre
entre les pays, les ouvrier-ès des néo-colonies comme la Turquie, le Bangladesh, les Philippines
ou la Thaïlande gagnent dix fois moins que les ouvrier-ès des pays impérialistes !
Lorsque les monopoles décident de délocaliser/transférer la production dans un autre pays, ils
regardent d’abord où les coûts unitaires de main-d’œuvre sont les plus bas. Toutefois, il serait
erroné de dire que ces différences de valeurs monétaires reflètent directement la différence de
misère entre les travailleurs-euses des différents pays. Le niveau des prix des produits de base
n’étant pas le même dans tous les pays, ce que chaque dollar permet d’acheter n’est pas le
même. Un moyen relativement fiable de comparer la taille du panier minimum de subsistance des
travailleurs-euses de différents pays sur un pied d’égalité consiste à réviser ces coûts unitaires de
main-d’œuvre en parité de pouvoir d’achat (PPA$).
Les données montrent les coûts unitaires de la main-d’œuvre dans l’industrie manufacturière des
pays sur la base de la PPA, en valeur monétaire. Comme les moyens de consommation sont bon
marché dans les colonies économico-financières et chère dans les pays impérialistes, les coûts
unitaires de la main-d’œuvre dans les premières augmentent tandis que ceux des seconds
diminuent. Cependant, même si la différence diminue, elle ne se résorbe pas.
Les salaires « réels » des travailleurs-euses de ces deux groupes de pays sont encore cinq fois
plus élevés. En d’autres termes, en termes de coût pour le capitaliste, cinq travailleurs-euses du
Moyen-Orient ou d’Amérique latine doivent vivre avec le panier de subsistance dont un-e
travailleur-euse de l’UE a besoin pour survivre. Comme nous l’avons dit au début, il ne s’agit pas
d’une simple injustice accessoire, mais du mécanisme de base de la création des profits
impérialistes.
Contrairement à ce que prétendent les marxistes européens, cette différence n’est pas due au fait
que les travailleurs-euses des pays impérialistes sont plus productifs. Cette thèse est celle de
l’idéologie économique bourgeoise. La théorie marxiste, qui montre que c’est le coût du temps de
travail qui détermine la valeur, nous disons que la valeur produite par les travailleurs-euses
travaillant les mêmes heures sera la même, que les travailleurs-euses productifs produiront
seulement plus de marchandises, c’est-à-dire de la valeur d’usage, que la même valeur sera
seulement représentée dans plus de marchandises, et que les profits supplémentaires gagnés par
le capitaliste grâce à la différence de productivité ne proviennent pas de ses propres travailleurs-
euses, mais de capitalistes utilisant des technologies inférieures en termes de productivité.
En outre, ce que nous appelons l’exploitation impérialiste implique déjà le transfert des processus
de production à forte intensité de main-d’œuvre non pas à des travailleurs-euses moins qualifiés,
mais à des travailleurs-euses ayant exactement la même productivité individuelle, mais moins
chère. Sinon, il ne servirait à rien de parler de main-d’œuvre bon marché. On ne peut pas parler
du caractère bon marché du travail d’un mouliste par rapport à celui d’un ingénieur, mais on peut
parler du caractère bon marché du travail d’un mouliste asiatique par rapport à celui d’un
mouliste américain.
LES GAGNANTS ET LES PERDANTS DE LA SUPER-EXPLOITATION
Bien entendu, on ne peut en conclure que l’intérêt objectif de la classe ouvrière des pays
impérialistes est la poursuite de l’impérialisme, au moins pour le moment. Même si la différence
de misère du moment est claire, et même si l’un peut consommer à bon marché parce que l’autre
est soumis à la surexploitation, la tendance objective aujourd’hui est que cette différence se
comble au détriment du travailleur du pays impérialiste. Alors que le taux moyen de profit diminue
et que la récession mondiale ne peut être surmontée, les monopoles impérialistes partagent de
moins en moins, voire pas du tout, avec leurs propres travailleurs-euses la valeur transférée des
colonies financières-économiques. Les conflits de classe sur la privatisation du système national
de santé en Grande-Bretagne et le relèvement de l’âge de départ à la retraite en France en sont
des exemples.
Dans le phénomène de la surexploitation, ce ne sont pas les travailleurs-euses du pays
impérialiste qui sont les gagnants, ni toutes les classes de la nation des néo-colonies qui sont les
victimes. La bourgeoisie de ces pays est du côté des collaborateurs de l’impérialisme dans cette
relation. Les bourgeoisies nationales, qui se sont échappées des limites étroites du marché
intérieur et ont mis le cap sur l’horizon apparemment sans fin des marchés étrangers créés par la
sous-traitance impérialiste, ne peuvent rivaliser avec les autres bourgeoisies d’autres colonies
économico-financières dans la même situation qu’en rendant la main-d’œuvre de leurs propres
travailleurs-euses encore moins chère, et peuvent recevoir des commandes des monopoles
internationaux. En d’autres termes, en dernière analyse, les économies nationales ne peuvent
rester « saines » et se développer que si elles peuvent rendre la classe ouvrière nationale encore
plus misérable. Telle est l’essence de ce que l’on appelle aujourd’hui la politique économique
dans ces pays, sur laquelle d’innombrables experts discutent et réfléchissent. En ce sens,
l’absurdité de la « production de haute technologie » ne signifie rien d’autre que la création d’un-e
travailleur-euse de l’informatique moins cher au lieu, par exemple, d’un-e travailleur-euse du
moule moins cher. La qualité augmente, le prix reste bas.
Les conditions matérielles de cette dévalorisation consistent à empêcher la libre circulation de la
main-d’œuvre, par opposition aux marchandises et aux capitaux, et à maintenir le chômage à un
niveau élevé. Ces conditions matérielles peuvent être fournies non seulement par des politiques
économiques, mais aussi par des politiques d’immigration directe. Cependant, la classe ouvrière
peut toujours s’unir contre la menace du chômage. Pour empêcher cette possibilité d’unité, il faut
qu’il y davantage de racisme, du chauvinisme, de la réaction religieuse et, en fin de compte, le
fascisme. Moins il y a d’emplois et plus la classe ouvrière est inorganisée, sans liberté et hostile
les uns aux autres, plus la main-d’œuvre peut être bon marché.
ÉCHAPPER À L’ENFER DE LA MAIN-D’ŒUVRE BON MARCHÉ
Si le « nous » dans cette question n’est pas une classe, mais la nation dans son ensemble, alors
nous n’avons guère d’autre choix que de regarder le Bangladesh et de nous réjouir, ou d’imiter les
pays d’Europe de l’Est, et enfin de supplier nos exploiteurs de dévaloriser davantage notre propre
force de travail « pour être compétitifs ». Malheureusement, les confédérations jaunes de la classe
ouvrière, les confédérations « révolutionnaires » et les intellectuels qui se prennent pour des
organiques n’offrent aux travailleurs-euses rien d’autre qu’une famine « raisonnable » et un manque
de dignité en renforçant la collaboration de classe. Elles acceptent de baisser les salaires pour
que leur bourgeoisie ne s’enfuie pas ou qu’on se retrouve pas au chômage, elles sont les
premières à faire porter le poids de la pandémie sur les travailleurs-euses, elles acceptent des
régimes de travail absurdes, elles approuvent en silence le racisme, l’hostilité envers les réfugiés,
l’occupation et le colonialisme, et elles placent les travailleurs-euses du côté de leur bourgeoisie
lors des élections.
Face à cette exploitation capitaliste impérialiste sans vainqueur, la première chose à faire pour
celles et ceux qui identifient correctement le sujet de la question « Qu’allons-nous faire ?”. Comme
la « classe ouvrière » ne peut avoir aucun intérêt commun ni même une vie quotidienne commune
avec sa propre bourgeoisie. Que cette classe est une partie d’un autre tout et que leurs véritables
alliés sont les classes ouvrières et les peuples opprimés d’autres pays. C’est pourquoi,
aujourd’hui, l’anti-impérialisme, une revendication intransigeante de la révolution socialiste et un
internationalisme intransigeant doivent être considérés comme des conditions nécessaires l’une
pour l’autre. Cela exige de rompre avec les thèses de développement des partis bourgeois
d’opposition ainsi qu’avec la stupidité irrationnelle du social-réformisme, de considérer les
travailleurs-euses des autres pays non pas comme des rivaux à dépasser mais comme des frères
et sœurs de classe, et de voir les peuples opprimés comme les principaux alliés dans la
construction de l’auto-émancipation de sa propre classe.